Alors que la BCEAO s’apprête à lancer le e-CFA, première monnaie numérique de la zone UEMOA, l’Afrique de l’Ouest s’avance vers une transformation majeure de son système monétaire. Présenté comme un outil d’inclusion et de modernisation, ce projet soulève pourtant des interrogations : comment digitaliser sans exclure, et moderniser sans fragiliser la confiance dans la monnaie ?

Le e-CFA c’est quoi ?

Le lancement par la BCEAO de la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI-SPI), qui servira de socle technologique au e-CFA, confirme que l’introduction de la monnaie numérique ouest-africaine est désormais imminente.

Avant même son lancement, il importe de distinguer le e-CFA du CFA déjà utilisé sous forme électronique dans les banques ou via le mobile money.
 Aujourd’hui, lorsqu’un client effectue un virement, un paiement par carte ou une transaction mobile, il manipule déjà du CFA “numérisé”, mais adossé à un compte bancaire ou mobile géré par des opérateurs privés ou des établissements financiers. Ce système repose donc sur des intermédiaires, qui garantissent les fonds et exécutent les transferts.

Le e-CFA, lui, représente une nouvelle catégorie de monnaie : une monnaie numérique de banque centrale (MNBC), émise directement par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
 Autrement dit, il ne s’agit pas simplement d’un CFA “digitalisé” dans une application, mais d’une forme électronique officielle de la monnaie elle-même, garantie et contrôlée par la BCEAO, sans intermédiaire commercial.

Le projet de monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de la BCEAO, le e-CFA, s’inscrit dans une stratégie majeure visant à moderniser les systèmes de paiement dans les huit pays membres de l’UEMOA : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Contrairement aux cryptomonnaies privées comme le Bitcoin, le e-CFA sera émis et garanti par la banque centrale, avec une parité fixe : 1 e-CFA équivaudra toujours à 1 franc CFA.

Cette monnaie numérique permettra aux utilisateurs d’effectuer des transactions via smartphones, cartes ou portefeuilles électroniques (wallet), même sans avoir de compte bancaire, répondant ainsi à une problématique majeure de la région où plus de 60 % des adultes restent non-bancarisés.

Les promesses du e-CFA : modernisation et inclusion

L’une des grandes ambitions du e-CFA est d’étendre l’inclusion financière et de faciliter l’accès aux services monétaires grâce à la forte pénétration du mobile money en Afrique de l’Ouest, où plus de 140 millions de comptes actifs mobiles sont recensés. Avec un simple téléphone, il sera possible d’envoyer de l’argent, de payer des factures, et d’effectuer des achats sans passer par une banque traditionnelle.

Pour le professeur Amath Ndiaye, économiste à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le e-CFA constitue une opportunité historique pour moderniser le système monétaire ouest-africain. Conçue et portée depuis l’Afrique, cette monnaie numérique renforcerait la souveraineté économique régionale et favoriserait l’inclusion financière, même si, rappelle-t-il, « les enjeux économiques dépassent la seule question monétaire ».

De son côté, Seydi Bocoum, expert en politiques monétaires, souligne les gains de transparence et de sécurité qu’offre le e-CFA. Grâce à la traçabilité des transactions, il y voit un outil efficace contre la corruption et la mauvaise gestion publique. Pour lui, cette digitalisation ouvre une nouvelle ère pour l’UEMOA, appelant les banques à innover face à un paysage financier en pleine mutation.

 

Les craintes face à une transition numérique

Mais ce projet ambitieux n’est pas sans susciter des inquiétudes. Des voix s’élèvent face à la fracture numérique persistante dans plusieurs pays de l’UEMOA, où un accès limité à l’Internet haut débit, à l’électricité et aux smartphones pourrait marginaliser les populations les plus vulnérables.

La protection de la vie privée est également au cœur des débats. Une monnaie numérique pilotée par une institution centrale pose des risques de surveillance accrue et de contrôle social si les données ne sont pas suffisamment protégées.

La disparition du cash ne sera pas immédiate, mais la tendance mondiale est claire : la dématérialisation monétaire progresse partout, en Chine, au Nigéria, en Europe ou dans les Caraïbes. En Afrique de l’Ouest, le e-CFA pourrait constituer un tournant historique s’il parvient à conjuguer efficacité, transparence et respect des libertés individuelles.