Par Kosisochukwu Ani Charity
X (anciennement Twitter), autrefois refuge du dialogue ouvert et de l’actualité en temps réel, est devenu un terreau fertile pour la propagande, la désinformation et la manipulation – notamment dans le contexte des conflits internationaux. Un cas récent soulève de vives interrogations sur le rôle des plateformes sociales dans la diffusion de récits pilotés par des États : la découverte d’un faux compte militaire iranien diffusant de la désinformation militariste via une page influente de X.
Dans les méandres de la guerre numérique et de la manipulation de l’information, les opérations de désinformation s’organisent de façon aussi coordonnée qu’alarmante. Un compte en apparence anodin, se présentant comme une source officielle des forces armées iraniennes, s’est transformé en maillon d’un écosystème plus vaste de désinformation. Profitant de la modération affaiblie sur X et de l’amplification algorithmique, il a pu toucher des centaines de milliers d’utilisateurs.
Le compte @IranMilitary_ir existe depuis un certain temps, mais a gagné en visibilité dès le déclenchement du conflit entre l’Iran et Israël. Peu après l’annonce d’une attaque israélienne contre l’Iran, le compte publiait : « Tout le monde le sentira passer ».
Ce message a déclenché une vague de réactions, de nombreux internautes croyant à tort qu’il provenait d’un compte officiel des forces armées iraniennes, d’autant plus que le compte arborait la coche bleue de vérification. Imitant le ton, les visuels et le langage institutionnel iranien, il a rapidement gagné en crédibilité. Sa biographie faisait référence aux Gardiens de la Révolution (IRGC) et ses publications, soignées et riches en infographies, donnaient le change à un œil non averti.
Le problème ne réside pas tant dans la provenance du compte que dans les canaux viraux qui légitiment son contenu. Lorsque des comptes influents relaient de fausses informations, les algorithmes de la plateforme ne font aucune distinction entre journalisme rigoureux et propagande coordonnée.
En relayant systématiquement les publications du faux compte via des retweets, des citations et des réponses stratégiques, la page X en question a accordé une crédibilité indirecte à ces contenus. Une fois cette association établie, l’algorithme de X a pris le relais. Les messages du faux compte ont commencé à apparaître plus fréquemment dans les fils d’actualité des utilisateurs intéressés par les questions militaires ou les conflits au Moyen-Orient. L’engagement s’est emballé, propulsant la désinformation à grande échelle.
Cette dynamique a encouragé la multiplication de comptes similaires, favorables aux forces iraniennes, dont l’un a été suivi par près de deux millions d’abonnés. Ces comptes relaient des informations non vérifiées, des commentaires belliqueux et des discours pro-guerre, souvent avec un succès viral.
Le compte d’origine a connu une croissance alarmante, propageant des affirmations qui brouillent dangereusement la frontière entre réalité et fiction. Parmi les récits trompeurs les plus diffusés figuraient de fausses victoires militaires de l’Iran en Syrie, contredites par des journalistes indépendants sur le terrain. Le compte a également prétendu que des drones iraniens avaient frappé des cibles stratégiques en Israël, en contradiction avec les images satellites vérifiées. Il a en outre diffusé de fausses citations de généraux iraniens menaçant prétendument l’OTAN, exacerbant les tensions géopolitiques. Beaucoup de ces contenus – images ou vidéos – sont en réalité des deepfakes générés par IA, mais largement considérés comme authentiques par de nombreux utilisateurs de X, notamment grâce à des vérifications erronées par Grok AI, désormais perçu par certains comme une source de vérité.
Ces efforts de désinformation poursuivent plusieurs objectifs : d’une part, attiser les tensions régionales et entretenir un climat d’instabilité ; d’autre part, influencer l’opinion publique internationale en faveur de réponses militaristes. Enfin, ils érodent la confiance dans les médias légitimes, amenant les utilisateurs à douter de toute source d’information.
La légitimité apparente du compte a été renforcée par la coche bleue de vérification, aujourd’hui accessible à tout utilisateur payant. Cette évolution a affaibli la crédibilité du système de vérification, facilitant l’usurpation d’identité par des acteurs malveillants.
Depuis l’acquisition de X par Elon Musk, les politiques de modération des contenus ont été largement assouplies. De nombreuses équipes de sécurité ont été démantelées, et les effectifs chargés de la confiance et de la sécurité ont été réduits. Dans ce contexte, les auteurs de désinformation encourent moins de sanctions, tandis que les utilisateurs de bonne foi peinent à distinguer le vrai du faux. Malgré plusieurs signalements concernant le faux compte iranien, celui-ci est resté actif pendant des mois, bénéficiant de l’amplification algorithmique et de l’engagement des utilisateurs.
La page X qui a amplifié ce faux compte n’est pas un cas isolé. Elle fait partie d’un réseau plus large d’influenceurs, de bots et de fermes à trolls qui promeuvent systématiquement la désinformation au service d’agendas idéologiques ou politiques. Ces écosystèmes sont décentralisés, multilingues et adaptatifs, ce qui les rend difficiles à identifier et à démanteler. Leurs cibles sont souvent précises : le débat démocratique, les libertés civiles, les initiatives de paix et le journalisme. En saturant l’espace informationnel de demi-vérités et de manipulations, ils visent à embrouiller l’opinion publique, à fragiliser le consensus et à imposer une vision militarisée du monde comme solution par défaut.
Les conséquences de cette désinformation incontrôlée dépassent largement le cadre numérique. Elles sont concrètes. Des affirmations militaires mensongères peuvent provoquer des escalades, des incidents diplomatiques ou encore alimenter la xénophobie. Elles affaiblissent aussi la capacité de la société civile à réagir de manière rationnelle face aux crises.
En outre, la désinformation mine l’intégrité du savoir public. Lorsque les plateformes permettent à ces contenus de proliférer au nom de la liberté d’expression, elles transforment le débat d’idées en champ de bataille de mensonges concurrents.
Internet était censé démocratiser l’accès à l’information. Il devient aujourd’hui le théâtre d’une nouvelle forme de guerre, où la vérité est la première victime collatérale. En tant qu’utilisateurs, nous devons rester vigilants. Dans un monde où un simple tweet peut servir d’arme, la responsabilité de préserver la vérité nous incombe à tous.