Le 14 avril 2025, la plateforme burkinabè de vérification des faits Fasocheck a démenti une rumeur largement partagée sur les réseaux sociaux, selon laquelle les salaires des ministres et députés auraient été réduits de 30 %. Cette affirmation, infondée, n’est qu’un exemple parmi des centaines de fausses informations qui circulent quotidiennement sur Internet en Afrique.
Les jeunes Africains sont de plus en plus confrontés à un flux incessant d’informations, souvent non vérifiées, qui exigent une capacité accrue à analyser, évaluer et interpréter les contenus. Face à ce défi, les jeux éducatifs émergent comme des outils puissants pour renforcer la compréhension médiatique et l’esprit critique. En Afrique, où près de 60 % de la population a moins de 25 ans et où l’accès aux smartphones explose, la gamification de l’éducation offre une opportunité unique de transformer l’apprentissage en une expérience engageante.
L’émergence de la ludopédagogie en Afrique francophone
L’Afrique connaît une révolution dans le domaine numérique. Selon GSMA, environ 615 millions de personnes utiliseront des services mobiles d’ici 2025, ce qui représente près de 50 % de la population. Par ailleurs, le taux de pénétration de l’Internet mobile devrait atteindre 65 % à la même échéance, contre seulement 37 % en 2023. Cette dynamique s’accompagne d’une expansion économique majeure : l’économie numérique africaine est estimée à 180 milliards de dollars en 2025, soit 5,2 % du PIB continental, et pourrait atteindre 712 milliards de dollars d’ici 2050.
Cette révolution crée un terreau propice à l’intégration de mécanismes ludiques dans l’enseignement de compétences complexes dans divers domaines.Au Soudan, le programme « Can’t Wait to Learn » de War Child Holland a démontré l'efficacité de contenus éducatifs contextualisés, intégrant les langues locales et les références culturelles, pour améliorer l'apprentissage des enfants. Une étude a révélé que les enfants participant à ce programmede jeux numériquesont amélioré leurs compétences en lecture près de 2,7 fois plus que ceux suivant le programme alternatif d'apprentissage du gouvernement.
En Côte d’Ivoire, l'éducation financière prend une tournure innovante grâce à l'initiative « The Money Kings – Gamify your financial knowledge », lancée par Paradise Game en partenariat avec Visa. Ce programme utilise le football, passion largement partagée sur le continent, comme métaphore pédagogique pour enseigner aux jeunes les bases de la gestion budgétaire, de l’épargne et des décisions financières.
Défis et leviers pour un déploiement à grande échelle
Malgré le potentiel évident, seul 28 % des établissements scolaires africains disposent d’une connectivité Internet suffisante pour supporter des jeux éducatifs en ligne. Des solutions hors ligne comme les tablettes préchargées utilisées par Can’t Wait to Learn montrent la voie, mais leur coût reste prohibitif à large échelle.
La montée en puissance des technologies légères (jeux SMS, réalité augmentée basse consommation) et les partenariats public-privé émergents – comme celui entre Paradise Game et Visa pour toucher 10 millions de jeunes d’ici 2030 – laissent entrevoir des solutions viables.
L’Association pour le Développement de l’Éducation en Afrique (ADEA) souligne que 65 % des systèmes éducatifs continentaux n’ont pas encore formalisé de cadre d’évaluation pour les compétences acquises par le jeu. Des pays comme le Rwanda et le Ghana expérimentent actuellement des cursus hybrides où les jeux numériques complètent (sans remplacer) les méthodes classiques.
La formation des enseignants reste un point critique. Une expérience menée au Sénégal a montré que lorsque les éducateurs sont formés à la pédagogie ludique, le taux d’engagement des élèves dans les activités EMI augmente de 70 %. Des plateformes comme le réseau social d’apprentissage décrit par Géraldine Yanon en Côte d’Ivoire pourraient servir de modèle pour le partage de bonnes pratiques entre enseignants.
Perspectives futures : vers une culture du jeu sérieux
La proclamation de 2024 comme Année de l’Éducation par l’Union Africaine ouvre une fenêtre politique inédite pour intégrer durablement les jeux éducatifs dans les systèmes d’enseignement. Ce contexte favorable permet d’imaginer une nouvelle culture pédagogique, fondée sur l’innovation et l’interactivité.
Parmi les tendances prometteuses, l’intelligence artificielle permet de personnaliser l’apprentissage en fonction des besoins de chaque joueur, tandis que la blockchain ouvre la voie à des certifications numériques fiables, reconnues sur le marché du travail. Les métavers éducatifs, quant à eux, offrent un terrain immersif pour simuler des situations complexes et renforcer l’esprit critique des jeunes.
Pour concrétiser ces avancées, un écosystème solide est nécessaire, alliant gouvernements, développeurs africains comme Kiro’o Games, et partenaires internationaux. Le succès du Festival de l’Électronique et du Jeu Vidéo d’Abidjan (FEJA), qui réunit des créateurs venus de 15 pays africains, montre que le continent a déjà les ressources humaines et créatives pour relever ce défi.
La gamification de l’éducation médiatique en Afrique n’est pas une simple lubie technologique, mais une nécessité stratégique. En transformant l’apprentissage de l’esprit critique en aventure interactive, ces outils redéfinissent le rapport au savoir d’une génération native du numérique. Les résultats tangibles – amélioration des compétences analytiques, autonomie cognitive, engagement accru – en font un levier essentiel pour construire des sociétés résilientes face à la désinformation. L’enjeu désormais est de passer des projets pilotes prometteurs à une généralisation inclusive, garantissant que chaque jeune Africain, urbain ou rural, puisse « jouer à penser » pour mieux appréhender le monde.