À l’heure où les fausses informations prolifèrent à une vitesse fulgurante sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique francophone, les acteurs du fact-checking redoublent d’efforts pour rétablir la vérité. Bilal Taïrou, journaliste béninois et coordinateur en chef de l’African Fact-Checking Alliance (AFCA), partage avec FAKT AFRIQUE son regard sur l’évolution du fact-checking en Afrique, les défis imposés par l’intelligence artificielle, et les leviers à activer pour ancrer durablement cette pratique dans nos sociétés.

Quel regard portes-tu sur l’évolution du fact-checking en Afrique ces dernières années, notamment dans les pays francophones ?


Le fact-checking a beaucoup évolué, souvent à la faveur d’événements marquants, qu’ils soient heureux ou malheureux. L’un des éléments déclencheurs majeurs de l’essor du fact-checking en Afrique francophone a été la pandémie de COVID-19. De nombreuses initiatives ont vu le jour à cette période et tentent, depuis, de se maintenir tant bien que mal. Des progrès ont été réalisés, les organisations se sont installées et professionnalisées.
Cependant, il manque encore de l’expertise, notamment pour s’adapter à l’évolution de la désinformation. L’un des défis majeurs aujourd’hui, c’est la désinformation générée par l’intelligence artificielle. Les organisations manquent souvent de compétences pour contrer ce type de contenu. Par ailleurs, beaucoup de structures ont du mal à se pérenniser, surtout lorsqu’elles fonctionnent uniquement dans le cadre de projets ponctuels.

Comment concilier les exigences de rigueur journalistique avec la rapidité nécessaire pour contrer la désinformation en temps réel ?

En aucun cas on ne doit sacrifier la rigueur journalistique au profit de la célérité ou de la recherche de buzz pour contrer la désinformation. Créer une fausse information prend souvent peu de temps, alors que la démystifier peut être très long. Mais on ne peut pas publier un démenti sans avoir rassemblé des preuves solides.
C’est une réalité contraignante à laquelle il faut s’adapter. Cela dit, il ne faut pas non plus tarder trop longtemps avant de réagir. C’est pourquoi, aujourd’hui, grâce au soutien de certains bailleurs, les organisations tentent de produire des vérifications de manière plus rapide. Il existe aussi des outils permettant d’accélérer les processus. Tout est une question d’adaptation pour réduire l’écart entre le moment où une désinformation est diffusée en ligne et le moment où elle est réfutée.

L’intelligence artificielle peut-elle vraiment aider le fact-checking africain ou risque-t-elle d’accentuer certaines inégalités ?

Concernant l’intelligence artificielle, je pense qu’il y a parfois un peu de fantasme autour. J’ai échangé avec des rédactions à qui j’ai demandé quel pourcentage de désinformation démentie provenait de l’intelligence artificielle. Les réponses montrent que ce n’est pas (encore) la majorité des cas. Oui, l’IA générative représente un enjeu important, mais nous devons apprendre à naviguer dans cet environnement. L’IA peut aussi être une aide précieuse pour la vérification des faits. C’est à nous, Africains, de tirer parti de son potentiel pour créer des outils adaptés à nos contextes. Par exemple, des outils capables de détecter précocement la désinformation, d’identifier certains mots clés propres à nos réalités. C’est une manière d’utiliser l’IA pour accélérer le fact-checking.

4. Quels leviers concrets faut-il activer pour ancrer durablement la culture de la vérification dans nos sociétés africaines ?


Quand on parle d’ancrer une culture de la vérification des faits, il faut se demander si l’on s’adresse aux médias ou aux consommateurs d’informations.
À mon avis, il faut adopter une approche ambivalente : les deux sont importants.
Côté médias, il faut poursuivre les activités de renforcement de capacités, de plaidoyer, et sensibiliser les rédactions et les managers à travers des ateliers de formation.
Il est crucial d’abandonner le sensationnalisme et la recherche du buzz, qui entraînent parfois des raccourcis dans le processus éditorial.
Ce manque de rigueur mène à la publication d’informations erronées.
Il faut donc renforcer les processus éditoriaux pour rétablir les normes et la déontologie journalistique.
Les rédactions doivent également être encouragées à mettre en place des cellules internes de vérification des faits.

Aujourd’hui, le fact-checking est essentiel pour assainir l’environnement médiatique et l’ensemble de l’écosystème informationnel. Il est donc crucial d’encourager les rédactions à mettre en place, en leur sein, des cellules dédiées à la vérification des faits. En activant ces leviers, on favorisera l’ancrage durable de la culture du fact-checking dans les pratiques et les esprits.
Du point de vue des consommateurs, l’accent doit être mis sur l’éducation aux médias. Si elle est menée de manière rigoureuse et adaptée, elle contribuera à freiner efficacement la propagation des fausses informations.

Mot de fin :
En mot de fin, je dirais que l’information authentique est un besoin fondamental. Elle doit être vraie, vérifiée. Nous avons tous un rôle à jouer dans cette quête de vérité. Évitons de relayer des fausses informations et engageons-nous, chacun à notre niveau, dans la lutte contre la désinformation. C’est ainsi que nous pourrons restaurer la confiance que les citoyens accordaient autrefois aux médias.

Article rédigé par Abdoussalam Dicko