Par Kosisochukwu Charity Ani

L’intelligence artificielle (IA) n’est pas une nouveauté dans le paysage bancaire nigérian. Longtemps cantonnée au rôle discret de chatbot — un peu comme ce cousin que l’on invite sans enthousiasme aux réunions de famille —, l’IA voit désormais son utilisation s’intensifier et se diversifier au sein des établissements financiers du pays. Si elle promet efficacité et modernisation des services, sa rapide adoption soulève également des interrogations, notamment sur sa pertinence dans le contexte africain.

Ces préoccupations étaient au cœur de la 4ᵉ conférence des parties prenantes organisée par l’Association des responsables de la communication des banques (ACAMB), le jeudi 10 juillet 2025 à Lagos. Intitulé « L’IA et le futur de la confiance : repenser les services bancaires et financiers dans une ère numérique », l’événement a rassemblé des leaders du secteur bancaire, technologique et de la communication. Tous ont souligné l’importance d’ancrer l’utilisation de l’IA dans la confiance, la transparence et l’adaptation aux réalités locales.

L’IA est déjà bien implantée dans les services bancaires nigérians, avec des applications dans l’automatisation des transactions, la détection des fraudes ou encore l’analyse de données clients. Toutefois, cette avancée technologique ne va pas sans inquiétudes, notamment en matière de protection des données, de biais algorithmiques et d’érosion de la confiance du public.

Pour Rasheed Bolarinwa, président de l’ACAMB, cette période constitue un tournant stratégique pour le secteur. Il insiste sur l’importance de la transparence et de la responsabilité dans l’intégration de ces technologies. « La confiance ne doit pas seulement être préservée, elle doit être renforcée par les technologies que nous adoptons. Alors que l’IA transforme notre manière de servir les clients, la collaboration entre parties prenantes est essentielle pour garantir une transformation éthique, inclusive et responsable », a-t-il déclaré.

Même son de cloche du côté du professeur Pius Olanrewaju de l’Institut des banquiers agréés du Nigeria (CIBN), qui met en garde contre les dérives possibles si l’IA est déployée sans cadre éthique clair. Une opinion partagée par le secrétaire général du CIBN, Akin Morakinyo : « Chaque révolution industrielle a été portée par une technologie d’usage général. Aujourd’hui, cette technologie, c’est l’IA. Mais si nous l’adoptons sans intégrité ni transparence, nous risquons de compromettre les fondements mêmes de la banque. »

Un autre thème central de la conférence portait sur la nécessité de contextualiser les outils d’intelligence artificielle. Niyi Yusuf, associé principal chez Verraki Africa et président du Nigerian Economic Summit Group (NESG), a averti contre l’importation non adaptée de modèles occidentaux qui pourraient ignorer les réalités culturelles, économiques et linguistiques du Nigeria. « Nous avons besoin d’algorithmes conçus pour l’Afrique : sa culture, ses langues, ses habitudes financières. Sinon, nous risquons de créer des systèmes qui excluent au lieu d’émanciper », a-t-il expliqué, plaidant pour une implication humaine constante dans les décisions assistées par IA, afin de garantir leur équité, leur responsabilité et leur dimension humaine.

Des représentants de banques comme Polaris, VFD Microfinance ou FirstBank ont soutenu ces appels, soulignant la nécessité d’un cadre collaboratif qui mette l’accent sur la sensibilisation du public à l’IA, la protection des données et l’éducation numérique. Si des innovations telles que la reconnaissance faciale ou la surveillance des fraudes en temps réel témoignent d’une avancée technologique, elles doivent impérativement s’accompagner de mécanismes de gouvernance adaptés.

En ancrant l’IA dans les réalités locales et des principes éthiques solides, le Nigeria a l’opportunité de devenir un modèle pour le continent, démontrant que la technologie peut être un catalyseur de progrès financier inclusif, à condition d’être pensée avec rigueur et responsabilité.

Pour baliser la voie, les experts recommandent une feuille de route complète : élaboration de cadres de gouvernance fondés sur le consentement, entraînement des modèles d’IA sur des bases de données africaines, supervision humaine renforcée, promotion de la littératie numérique et dialogue constant avec les régulateurs pour concilier innovation et protection des consommateurs.

Les institutions financières nigérianes disposent des atouts nécessaires pour guider la transformation de la banque en Afrique à l’ère de l’IA. Mais au-delà de l’ambition technologique, cela requiert une conception réfléchie, une régulation anticipée et surtout, un engagement clair à replacer les individus — clients comme communautés — au cœur de cette innovation.

Alors que l’IA devient partie intégrante des fonctions bancaires essentielles — du suivi des transactions à l’évaluation des risques en passant par la conformité — les banques nigérianes doivent naviguer avec précaution. D’un côté, ces technologies offrent des outils puissants pour gérer les risques financiers et opérationnels ; de l’autre, elles introduisent de nouveaux défis en matière de complexité et de vulnérabilité. Aujourd’hui, des algorithmes prennent des décisions qui impactent des millions de personnes. Il est donc impératif que leur fonctionnement soit transparent, bien encadré et pleinement responsable.

L’avenir de l’IA dans le secteur bancaire africain dépendra moins de la vitesse d’innovation que de la manière dont ces systèmes seront conçus, déployés et gouvernés, dans le respect des contextes locaux.