Par Kosisochukwu Charity Ani

À l’heure où démêler le vrai du faux devient une tâche titanesque face à la prolifération de la désinformation en ligne, la Finlande s’impose comme un leader mondial dans la lutte contre les fake news, grâce à une éducation complète à la littératie médiatique. En intégrant la pensée critique et les compétences de vérification des faits dans son programme national, le pays donne à ses citoyens — dès le plus jeune âge — les moyens d’identifier les informations crédibles et de distinguer les faits de la fiction ou de la désinformation.

Une approche finlandaise de l'éducation aux médias

Selon l’Open Society Institute, la Finlande figure régulièrement en tête de l’Indice de littératie médiatique, qui évalue la résistance aux fausses informations en prenant en compte la liberté de la presse, le niveau d’éducation et la confiance dans les institutions, depuis la première édition en 2017. Toutefois, l’engagement de la Finlande contre la désinformation ne date pas d’hier. Le pays affiche une volonté claire de renforcer la littératie médiatique à travers ses politiques et pratiques éducatives. Dès 2013, il a mis en place une politique nationale d’éducation aux médias, révisée en 2019, qui assure l’intégration de cette thématique à tous les niveaux scolaires.

L’objectif est de faire de la littératie médiatique une compétence citoyenne essentielle, permettant aux individus d’analyser de manière critique les contenus médiatiques, de démystifier les canulars, de combattre la mésinformation et la désinformation, tout en les incitant à produire leurs propres contenus. Dès la petite enfance, les élèves finlandais apprennent à aborder les médias avec recul. À l’école primaire, ils analysent les publicités et découvrent les mécanismes d’influence médiatique. Au collège et au lycée, ils approfondissent l’analyse des sources d’information, identifient la propagande et réfléchissent aux implications éthiques de la production médiatique.

Les enseignants jouent un rôle central dans la réussite de ce dispositif. En Finlande, ils doivent posséder un master et disposent d’une grande liberté pour concevoir des cours intégrant la littératie médiatique à diverses disciplines, allant des mathématiques aux arts. Loin de vouloir restreindre la liberté d’expression, ces initiatives visent à la renforcer, en dotant les élèves des outils nécessaires pour discerner les discours mensongers. Acquérir tôt des compétences en pensée critique influence également leur capacité à prendre des décisions éclairées plus tard dans la vie.Fatouma Harber SHORT 3

Faire face à la désinformation dans la société finlandaise

Malgré ces efforts, la Finlande n’est pas épargnée par les campagnes de désinformation. Ces dernières années, elle a été confrontée à la diffusion de contenus extrémistes en ligne. En 2024, un néo-nazi finlandais connu sous le pseudonyme « Mr AG » a partagé un manuel d’incendie criminel sur un groupe Telegram nommé Southport Wake Up, réunissant plus de 14 000 membres. Il y incitait à la violence et relayait de fausses informations. Ce militant, de son vrai nom Charles-Emmanuel Mikko Rasanen, fait l’éloge d’Hitler et promeut le Nordic Resistance Movement, un groupe néo-nazi interdit et considéré comme organisation terroriste aux États-Unis. Entre fin juillet et début août, ce groupe a contribué à déclencher et à alimenter des manifestations violentes en Angleterre et en Irlande du Nord.

La Finlande partage également une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie, ce qui en fait un État de première ligne dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes et de guerre informationnelle. Le ministère finlandais des Affaires étrangères rapporte qu’après l’invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie a lancé une opération baptisée « Doppelganger », consistant à cloner des sites de médias et de services publics pour manipuler l’opinion publique. Avant l’adhésion de la Finlande à l’OTAN en 2023, une vague de désinformation, soupçonnée d’origine russe, a déferlé dans le pays. Plus de 700 sites de ce type auraient été créés à travers l’Europe, diffusant des dizaines de milliers d’articles mensongers.

Pour contrer ces attaques, l’Agence finlandaise pour la sécurité de l’approvisionnement (National Emergency Supply Agency) privilégie une approche axée sur la fiabilité des comptes diffusant les contenus, plutôt que sur la véracité des informations elles-mêmes. Selon elle, la désinformation circule souvent via des comptes frauduleux, notamment des profils automatisés — ou « bots » — conçus pour amplifier des récits trompeurs. La Finlande utilise un algorithme permettant de détecter ces comportements suspects. Une fois repérés, les comptes sont signalés publiquement, et les autorités demandent leur suppression aux plateformes concernées. L’Agence considère ce système comme un outil clé pour protéger l’espace informationnel national face aux ingérences étrangères, notamment russes.

Les effets positifs de l’éducation aux médias et à l ‘information sont tangibles chez les jeunes Finlandais. Lors d’ateliers organisés au Musée des médias d’Helsinki, des élèves ont été confrontés à des images générées par intelligence artificielle représentant de faux événements. Grâce à leur formation, ils ont su repérer les incohérences et identifier les images comme truquées. Les élèves sont également invités à produire leurs propres contenus médiatiques, ce qui les sensibilise davantage aux mécanismes de création et à l’importance de l’éthique dans la communication.

Pour renforcer encore cette lutte, la Finlande s’appuie sur des structures comme Faktabaari, un service de vérification des faits qui collabore avec les écoles et les médias pour promouvoir une information fiable. L’organisation a élaboré des kits de littératie pour les électeurs et mené des études montrant les biais des algorithmes sur les réseaux sociaux, soulignant l’importance d’une vigilance continue.

Un modèle inspirant à l’échelle mondiale

Le modèle finlandais inspire d’autres pays confrontés à la montée des fake news. En faisant de la littératie médiatique une compétence citoyenne essentielle, la Finlande montre qu’une éducation critique à l’information constitue un rempart puissant contre la désinformation. Des pays comme Taïwan ont déjà introduit cette approche dans leurs écoles. D’autres, comme l’Australie et les États-Unis, débattent actuellement de la manière d’adopter des stratégies similaires pour renforcer la résilience sociétale.

Un des grands défis reste toutefois d’adapter cette approche aux évolutions rapides du numérique, notamment pour les populations âgées, qui n’ont souvent jamais appris à identifier les fausses informations en ligne.

L’approche globale de la Finlande en matière d’éducation à la littératie médiatique souligne l’importance de doter les citoyens des compétences nécessaires pour évoluer dans un environnement informationnel de plus en plus complexe. En encourageant la pensée critique dès le plus jeune âge, et en promouvant la collaboration entre enseignants, médias et autorités publiques, la Finlande établit une référence dans la lutte contre la désinformation. À l’heure où le paysage numérique continue de se transformer, d’autres nations peuvent s’inspirer de ce modèle pour mettre en place des stratégies solides et durables, capables d’armer les citoyens contre les manipulations de l’information.