Ecrit par Abdoussalam Dicko
Ignace Sossou, journaliste béninois, est éditeur d’enquêtes et formateur spécialisé dans les outils modernes du journalisme, avec un focus particulier sur le fact-checking. Il pilote plusieurs projets au sein de la CENOZO. Pour FAKT AFRIQUE, il partage son expertise sur les techniques de vérification numérique, l’importance de conjuguer méthodes traditionnelles et outils digitaux, ainsi que les défis grandissants liés à l’accès à l’information en Afrique de l’Ouest.
Pensez-vous que la formation actuelle dans les écoles de journalisme répond aux besoins du terrain ? Si non, quelles solutions préconisez-vous ?
Aujourd’hui, pour être un journaliste qui répond aux exigences de notre époque, il faut maîtriser trois compétences de base.conclure
Les journalistes d’aujourd’hui doivent maîtriser trois compétences clés : le data journalisme (collecte, traitement et visualisation de données), les outils numériques d’investigation (comme l’OSINT), et le fact-checking, devenu indispensable face à la montée de la désinformation. Malheureusement, les écoles de journalisme ne proposent pas encore de formations vraiment adaptées sur ces aspects essentiels. Je ne dis pas que tout est à jeter dans la formation actuelle, mais il est clair qu’il faut repenser l’offre pédagogique pour former des journalistes capables de répondre aux enjeux contemporains. Sinon, on se retrouve avec des diplômés qui savent juste faire des comptes rendus d’activités.
Quels sont les outils numériques indispensables pour les journalistes de nos jours ?
On a d’abord les outils de recherche par image inversée, mais aussi les outils de détection de deepfakes.
Pour la recherche par image inversée, on peut utiliser :Google Lens,Search by Image,Image Sherlock, InVID WeVerify, une extension très pratique pour navigaconclureteur.
Un autre outil très important pour vérifier si un fichier a été manipulé, c’est JPEGsnoop (ouExifToolselon les variantes). Ce logiciel permet d’analyser les métadonnées d’un fichier image et de détecter des modifications suspectes.
Pour compléter,FotoForensicsest un autre outil clé, capable de révéler les retouches invisibles à l’œil nu. Il est très utile face aux manipulations d’images, notamment dans des contextes où la désinformation visuelle se répand rapidement.
Concernant les deepfakes, des outils commeReality DefenderouDeepware Scanneraident à détecter si une vidéo ou un contenu a été généré ou altéré par intelligence artificielle.
Comment articuler méthodes classiques de vérification et nouveaux outils numériques ?
La première étape dans la vérification d’une information, c’est toujours de recourir aux sources humaines.
Par exemple, lorsqu’une fausse vidéo circule disant qu’il y a une manifestation dans une localité donnée, la première chose à faire est d’analyser la vidéo pour y repérer des éléments de géolocalisation : bâtiments, panneaux, plaques, etc. Cela permet de contacter des témoins ou des sources sur place. Et si cette vérification ne suffit pas, on passe aux outils numériques : recherche inversée, analyse des métadonnées, dconclureétection de modifications.
Avec les deepfakes, il est encore plus important de croiser les approches. Mais pour moi, la meilleure arme reste l’intelligence humaine. Un œil averti repérera souvent des incohérences : mauvais alignement des lèvres, regards figés, mouvements saccadés… C’est là qu’intervient l’esprit critique du journaliste.
Et si malgré cela le doute persiste, on peut utiliser Reality Defender ou Deepware Scanner pour trancher.
Quels sont aujourd’hui les obstacles majeurs à l’accès à l’information ?
Les difficultés d’accès à l’information ne sont pas propres à notre continent. On observe une fermeture progressive des données publiques, mais chez nous s’est encore plus prononcés. Même sur des sujets sans lien politique ou sécuritaire, les détenteurs de ses informations se montrent frileuses. Cela complique sérieusement le travail des journalistes d’investigation.
Autre défi majeur : les zones rouges. De plus en plus de régions sont inaccessibles pour les reporters, surtout dans les contextes de crise sécuritaire, comme nous le documentons dans nos dossiers sur l’accès à l’information.
Un dernier mot pour conclure ?
L’autre sujet important sur lequel il faut peut-être revenir c’est qu’à l’ère du numérique, les journalistes doivent se réinventer en intégrant les outils de l’intelligence artificielle dans leurs pratiques. Il ne s’agit pas de déléguer l’écriture d’articles à l’IA, mais de s’en servir pour améliorer la productivité et la qualité du travail, notamment en analysant rapidement de longs rapports.
Des enquêtes d’envergure comme les Pandora Papers ont été rendues possibles grâce à l’IA, qui a permis de repérer des liens complexes entre des milliers de documents. L’IA peut aussi être utile en production audiovisuelle, à condition de respecter la déontologie journalistique.
Enfin, lorsqu’elle intervient dans un contenu, son rôle doit être clairement mentionné, dans un souci de transparence envers les lecteurs.