Par Abdoussalam Dicko
Professeur Brema Ely Dicko est enseignant-chercheur à l’Université de Yambo Ouologuem à Bamako. Coordinateur de la formation doctorale en philosophie, sociologie et anthropologie, il dirige également un laboratoire de recherche consacré aux enjeux de société, d’éducation et de culture. Membre du comité éditorial de la Charte pour la paix et la sécurité, il s’intéresse particulièrement aux mutations sociétales provoquées par l’intelligence artificielle.
C’est dans ce cadre qu’il a accepté de répondre à nos questions, apportant son éclairage sur les implications de l’IA dans l’enseignement supérieur, la recherche et la société africaine en général.
1. En tant que chercheur, comment percevez-vous l’intelligence artificielle aujourd’hui ?
L’IA est un outil relativement nouveau, au Mali comme ailleurs, et elle connaît une croissance exponentielle. On l’utilise dans presque tous les domaines, et il y a aujourd’hui des IA pour tout. C’est un outil irréversible : il est là, il faut apprendre à le découvrir et à s’en approprier les usages, selon nos contextes.
Dans le domaine de l’enseignement supérieur, nos étudiants l’utilisent déjà énormément, parfois même pendant les examens. Ils sollicitent ChatGPT, Gemini, Perplexity ou encore DeepSeek, selon leur spécialité. Mais ces usages restent confus : beaucoup copient-collent des contenus sans vérifier les sources ni comprendre. Cela entraîne une forme de paresse intellectuelle et une crise de la pensée autonome.
2. Vous évoquez des dérives. Qu’en est-il des enseignants ?
Certains enseignants aussi utilisent l’IA pour préparer leurs cours, en tapant simplement des mots-clés. Ils obtiennent un plan ou même un cours complet. Les plus sérieux s’en servent comme base, qu’ils enrichissent avec leur propre savoir. L’IA peut alors devenir un outil pédagogique précieux : elle suggère des manières de faire un cours, des images, des schémas, des cartes mentales.
Mais si on se contente des réponses toutes faites, on tombe dans la facilité. L’IA devient alors une béquille qui affaiblit la rigueur, aussi bien chez les enseignants que chez les étudiants.
3. Quelles réponses institutionnelles faudrait-il apporter selon vous ?
Il est urgent de former, sensibiliser et informer sur les usages de l’IA. Il faut que chacun comprenne ses avantages, ses limites et les types d’IA adaptés à son domaine. Et surtout, il faut éviter que l’IA remplace l’effort personnel. Elle doit rester un outil, un complément.
Je plaide pour qu’on introduise l’IA dans les curriculums. Il faut des cours modèles, des démonstrations, et l’usage de logiciels de détection pour évaluer les productions étudiantes. Aucun diplôme ne devrait être délivré sans vérification anti-plagiat. Cela responsabilise les étudiants et tire la qualité vers le haut.
4. Peut-on imaginer une IA qui remplace un jour les enseignants ?
L’IA va continuer d’évoluer, et dans certains secteurs, elle remplacera l’humain. Dans les supermarchés par exemple, beaucoup de tâches seront automatisées. Mais dans nos contextes, il y a encore des freins : manque d’électricité, de connectivité, faibles taux d’alphabétisation.
Donc non, on ne verra pas une école sans enseignants de sitôt. Mais l’IA peut améliorer la qualité de l’enseignement. Elle offre un accès rapide à des contenus là où les bibliothèques sont limitées. Et ça pousse les enseignants à se documenter davantage pour faire face à des étudiants qui consultent déjà l’IA dès qu’un programme est partagé.
5. Quel impact cette dynamique peut-elle avoir sur la pédagogie ?
Le système éducatif devra s’adapter. Les enseignants doivent monter en compétence, car leurs étudiants ont accès en quelques secondes à une abondance d’informations. Cela impose de renforcer l’évaluation, d’insister sur l’esprit critique, et d’éviter le copier-coller généralisé.
Il faudra évaluer à la fois les apprenants et les enseignants, pour maintenir l’exigence. L’IA peut être un levier pour mieux enseigner, à condition qu’on conserve l’effort intellectuel.
6. Que recommandez-vous concrètement aux institutions universitaires ?
Chaque mémoire ou thèse doit obligatoirement passer par un logiciel anti-plagiat. On le fait déjà au niveau du doctorat et du master. Le logiciel identifie les pourcentages de plagiat avec des codes couleurs. C’est un bon moyen de responsabiliser.
Cette exigence devrait s’étendre à toutes les évaluations. Quand les étudiants savent que leur travail sera vérifié, ils font plus d’efforts. C’est aussi une manière de réhabiliter l’intégrité académique.
7. Un dernier mot sur l’avenir de l’IA ?
Il ne faut pas avoir peur de la technologie. L’IA ne remplacera jamais complètement l’humain. Nous avons des émotions, une intelligence illimitée, des capacités d’adaptation que l’IA n’a pas encore. Plus nous sommes confrontés à ces outils, plus notre cerveau se développe.
L’essentiel, c’est d’aller vers ces technologies, de les comprendre et de les utiliser pour nous faciliter la vie. Si on garde cette posture, on gagnera en productivité, en efficacité, et la qualité du travail ne pourra qu’en sortir renforcée.