Environ cinq mois après l’annonce faite par le président des États-Unis Donald Trump de geler les financements de l’Agence des États-Unis pour le développement international(United States Agency for International Development -USAID), cette décision comporte des conséquencessur les médias africains
Au-delà des menaces sur la santé mondiale , la suspension du financement du gouvernement américain au budget de l’USAID impacte de façon plus ou moins directe les médias africains. Ce sont en effet 268 millions de dollars (M$) pour soutenir « les médias indépendants et la libre circulation de l'information » qui ont été supprimés. Jusqu’à présent, l’USAID donnait une partie de ces fonds à des fondations privées comme la Fondation pour la liberté de la presse, qui lesredistribuaientà desorganisations médiatiques africaines.Ce qui leur a permis de soutenir financièrementla formation des journalistes, l'amélioration de l'infrastructure médiatique, la promotion de la liberté de la presse et la lutte contre la désinformation.
400 000 dollars de financement médiatique en moins
Selon Reporters sans frontières, USAID a ainsif inancé en 2023, la formation et le soutien de 6 200 journalistes, aidé 707 organes de presse non-étatiques et soutenu 279 organisations de la société civile vouées au renforcement des médias indépendants dans plus de 30 paysà travers le monde.L’agence américaine a alloué environ 50 M$ pendant la période 2019-2024 pour soutenir la liberté de la presse et la gouvernance démocratique en Afrique de l'Ouest.En 2020, elle avaitlancé un programme de 10 M$ pour soutenir le renforcement de la liberté d'expression et des médias en Afrique subsaharienne, particulièrement dans des pays où la presse est réprimée.
La décision de Donald Trump a contraint la plateforme d'investigation DataCameroun de mettre en attente plusieurs projets, dont un axé sur la sécurité des journalistes et un autre couvrant la prochaine élection présidentielle au Cameroun prévue en octobre prochain. Rawan Damen, directeur des journalistes arabes pour le journalisme d'investigation, qui travaille à travers le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, a déclaré avoir perdu 400 000 dollars du gel de l'USAID. The African Media Initiative (AMI) une organisation panafricaine recevant plusieurs dizaines de milliers de dollars pour soutenir des programmes de renforcement des capacités de médias à travers l'Afrique, en particulier dans la formation des journalistes et le renforcement de la gouvernance des médias, a été contraint de fermer son site Internet, faute de financements.
Une liberté de presse fragilisée ?
Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact total et réel de la réduction du financement d’USAID sur les rédactions africaines. Cependant, pour survivre, certaines (les plus financièrement aux abois) pourraient être tentées de rechercher des sources de financement plus locales et privées, avec le risque de voir ces mandataires influencer leurs lignes éditoriales. La tentation est en effet assez grande de voir des donneurs d’ordre et les financeurs relayer leurs orientations, leurs choix politiques, en accentuant sur tel ou tel angle conforme à leurs intérêts. Si dans certains pays occidentaux, il existe une clause de conscience et une clause de cession que les journalistes peuvent faire jouer en cas de changement de ligne éditoriale et/ou de cession/vente du journal, les journalistes africains, dans une grande majorité, ne bénéficient pas de ces libéralités. Ce qui renforce un peu plus le sentiment que le tarissement des aides américaines n’est guère favorable à la liberté d’expression au sein des médias africains, dont une partie est déjà sous contrôle gouvernementale et institutionnelle.
Le rôle du « contre-pouvoir » en danger ?
Une chose est cependant certaine : l’affaiblissement des ressources conduit mécaniquement à réduire la formation et l’attribution de bourses pour les journalistes africains et par conséquent impacter négativement le niveau de professionnalisme. Il s’ensuit logiquement une remise en cause de la crédibilité des médias et un amoindrissement de la liberté de la presse. Une position dangereuse alors même que le continent africain se nourrit de plus en plus massivement de réseaux sociaux. La presse ne joue plus alors son rôle de contre-pouvoir notamment dans la lutte contre la désinformation et la propagande alimentée par les puissances russes et chinoises. Autrement dit, les médias même soutenus par des aides étrangères démocratiques s’affirment de bons contrepoids aux narratifs des gouvernements locaux, parfois soutenus par des pays autocratiques.
Car, en bout de chaîne, avec une presse d’investigation sous contrôle et une transparence des médias ouvertement menacée, c’est la nature même des régimes qui est remise en cause. La démocratie brandie par certains chefs comme un étendard n’est plus qu’une coquille vide, y compris informationnelle. En effet, la liberté de la presse reste l’un des indicateurs les plus prégnants de la bonne santé d’une démocratie.
Se pose enfin la question de savoir si la fin des aides américaines ne serait pas l’occasion pour les médias africains de prendre leur véritable indépendance, notamment en redéfinissant leurs lignes et priorités éditoriales, en diversifiant leurs sources de revenus pour s’orienter vers une autonomie financière et ainsi préserver leur indépendance vis-à-vis de l’étranger et de l’influence des gouvernements locaux.