Par Abdoussalam Dicko
Au Mali, la désinformation constitue un défi majeur, particulièrement pour les femmes. Elle se manifeste à travers des stéréotypes sexistes, des rumeurs infondées et des informations erronées, affectant leur santé, leur participation politique et leur rôle dans la société.
Selon une étude mondiale menée par l’UNESCO et le Centre international pour les journalistes (ICFJ), 73 % des femmes journalistes déclarent avoir été victimes de violences en ligne, souvent sous forme de désinformation ou de harcèlement numérique visant à les réduire au silence.
Au Mali, ces dynamiques s’inscrivent dans un contexte marqué par de fortes inégalités. D’après l’Enquête Démographique et de Santé (EDS-Mali 2018), près de 72 % des femmes rurales sont analphabètes, ce qui réduit considérablement leur capacité à distinguer le vrai du faux et les rend plus vulnérables aux rumeurs et à la manipulation de l’information.
Stéréotypes et rumeurs : des outils de marginalisation
Les femmes sont souvent la cible de stéréotypes dégradants véhiculés par des informations mensongères. Ces récits, largement diffusés via les réseaux sociaux, perpétuent des idées préconçues sur les femmes, les cantonnant à des rôles subalternes et entravant leur émancipation. Fatouma Harber, journaliste et fact-checkeuse, souligne :
« On voit par exemple circuler des messages qui affirment que les femmes n’aiment que l’argent, qu’elles n’ont ni sentiment ni considération. Ce sont des récits construits pour nuire à leur image et à leur légitimité dans la société. »
Ces stéréotypes sont parfois renforcés par des figures publiques ou des leaders d'opinion, amplifiant leur impact sur la perception sociale des femmes.
Désinformation en santé : un danger pour les femmes rurales
La désinformation en matière de santé, notamment reproductive, touche particulièrement les femmes en milieu rural. Le manque d’accès à une information fiable, le faible taux d’alphabétisation et la persistance de croyances traditionnelles les rendent particulièrement vulnérables. Les réseaux sociaux et les radios communautaires, souvent leurs seules sources d'information, véhiculent parfois des rumeurs non vérifiées.
Des fausses idées circulent sur les contraceptifs accusés de rendre stérile ou de provoquer des maladies ou sur les vaccins, suspectés de nuire à la fertilité. Ces rumeurs, parfois relayées par des figures locales influentes, dissuadent les femmes de recourir à des services de santé pourtant essentiels.
Ce refus ou cette hésitation a des conséquences graves sur leur bien-être et celui de leurs familles. Il devient alors urgent d’agir en sensibilisant, en éduquant et en formant des relais communautaires capables de contrer ces fausses informations à la source.
Participation politique entravée par la désinformation
En période électorale, les femmes candidates sont souvent la cible de campagnes de désinformation visant à discréditer leur engagement politique. Ces attaques, souvent basées sur des rumeurs concernant leur vie privée ou leur moralité, découragent la participation féminine à la vie politique.
Fatouma Harber observe :
« Des femmes candidates font l'objet d'attaques personnelles et de fausses informations sur leur vie privée, des pratiques qui ne visent quasiment jamais les candidats hommes. »
Cette asymétrie dans le traitement médiatique et social des candidats selon leur genre constitue un frein à l'égalité des chances en politique.
Initiatives pour contrer la désinformation genrée
Face à ces défis, des initiatives émergent pour lutter contre la désinformation ciblant les femmes. La formation de femmes journalistes et blogueuses au fact-checking est essentielle pour déconstruire les récits mensongers et promouvoir une information fiable.
Par ailleurs, l'éducation aux médias dès le plus jeune âge, notamment pour les filles, est cruciale pour développer un esprit critique face aux informations reçues.
Des organisations locales et internationales, telles que Search for Common Ground, mettent en œuvre des projets visant à renforcer la résilience des communautés face à la désinformation, en particulier dans les régions du nord et du centre du Mali.
La désinformation genrée au Mali est un obstacle majeur à l'autonomisation des femmes. Elle perpétue des inégalités, entrave l'accès à la santé et limite la participation politique féminine. Pour y faire face, une approche inclusive, intégrant les femmes dans les initiatives de lutte contre la désinformation et promouvant l'éducation aux médias, est indispensable.