En Afrique, la désinformation prospère sur un terrain marqué par un faible taux d’alphabétisation, moins de 50% pour les pays comme le Tchad, le Mali ou la Centrafrique selon l’UNESCO ainsi qu’une forte oralité et l’omniprésence des réseaux sociaux tels que WhatsApp, Facebook ou TikTok.
Les rumeurs y circulent bien souvent plus vite que les démentis, jusque dans les zones les plus reculées. Et si le français et l’anglais sont utilisés dans les médias, c’est surtout en langues locales que la majorité communique et que se joue désormais une grande partie de la lutte contre les fake news.
Les réseaux sociaux, catalyseurs des langues locales
« Le texte y est presque absent, ce qui donne une place importante aux langues nationales, surtout dans les pays où le taux d’alphabétisation reste faible »
L’Afrique est l’un des continents les plus riches sur le plan linguistique. Avec des centaines de langues parlées, cette diversité se retrouve de plus en plus sur les réseaux sociaux.
Des plateformes comme TikTok, centrées sur l’audio et la vidéo, renforcent cette tendance. « Le texte y est presque absent, ce qui donne une place importante aux langues nationales, surtout dans les pays où le taux d’alphabétisation reste faible », souligne Georges Attino, journaliste et Factchekeur.
Les langues locales deviennent ainsi un levier d’accessibilité : elles rapprochent l’information des populations qui ne maîtrisent pas le français ou l’anglais, langues encore trop dominantes dans l’espace médiatique africain.
Quand la désinformation adopte les langues africaines
«Sur WhatsApp, Facebook ou TikTok, je reçois régulièrement de fausses nouvelles en bambara dans des groupes familiaux. Les audios, faciles à télécharger et à partager, favorisent leur viralité»
Cette vitalité des langues locales sur les réseaux sociaux a aussi un revers : elles sont devenues un vecteur privilégié pour la désinformation. Les rumeurs et intox exploitent la proximité, la confiance et la familiarité qu’offrent ces langues du quotidien.
« Sur WhatsApp, Facebook ou TikTok, je reçois régulièrement de fausses nouvelles en bambara dans des groupes familiaux. Les audios, faciles à télécharger et à partager, favorisent leur viralité », témoigne Georges Attino.
Ces formats courts, souvent anonymes, circulent à grande vitesse et touchent toutes les générations. Résultat : lorsqu’elles sont véhiculées dans une langue que chacun comprend, les fake news paraissent plus crédibles et se diffusent encore plus largement. D’où l’importance de répondre dans la même langue, pour déconstruire efficacement les rumeurs et ne pas laisser le terrain libre aux fausses informations.
Ces formats courts, souvent anonymes, circulent à grande vitesse et touchent toutes les générations.
3 chantiers prioritaires pour un fact-checking inclusif
Pour rendre le fact-checking réellement efficace en Afrique, Georges Attino identifie trois axes prioritaires :
1. Former des fact-checkers en langues locales
Il est essentiel de disposer de fact-checkers capables de produire directement dans les langues nationales, plutôt que de se limiter à des traductions du français ou de l’anglais. Cela permet non seulement une plus grande proximité avec le public, mais aussi une meilleure adaptation aux réalités culturelles et aux expressions propres à chaque langue.
2. Rendre accessibles les outils de vérification
Les locuteurs des langues locales doivent pouvoir comprendre ce qu’est le fact-checking, comment il s’effectue et quels outils existent pour vérifier une information. Cela passe par des formations adaptées, des ressources simplifiées et des plateformes qui intègrent les langues africaines, afin de démocratiser la vérification de l’information.
3. Développer l’éducation aux médias dans les langues nationales
Au-delà du travail des journalistes, chaque citoyen doit être sensibilisé aux mécanismes de la désinformation. En langues locales, il est possible d’expliquer simplement comment identifier une rumeur, pourquoi il est dangereux de partager sans vérifier, et comment adopter un regard critique face aux contenus viraux. Cette éducation de base permet de transformer les citoyens en acteurs de la lutte contre les fake news.
Une évidence s’impose : le fact-checking ne doit pas rester un outil élitiste réservé à une minorité francophone. Il doit être accessible à tous, quelle que soit la langue.
À l’heure où l’oralité et les langues locales jouent un rôle central dans la communication en Afrique, leur intégration dans le fact-checking apparaît comme une arme indispensable pour freiner la désinformation.
Article rédigé par Abdoussalam DICKO
