Ecrit par Christian Essimi
Comment un simple message a paralysé un quartier et révélé les failles numériques d’une société connectée.
Nkolbisson, Yaoundé : la peur au bout du doigt
Connu pour son ambiance semi-urbaine et ses zones résidentielles, Nkolbisson est un quartier populaire en pleine expansion, situé dans l’arrondissement de Yaoundé VII, au nord-ouest de la capitale camerounaise. En ce début juillet 2025, l’air est moite, les rues vibrent encore de l’agitation du jour. Il est 19h12.
Les derniers taxi-motos slaloment entre les étals dégarnis du marché, tandis que dans une échoppe de réparation de téléphones, Albert Onana, tenancier des lieux, suspend son dépannage, l’oreille tendue vers la radio nationale. Il vient de raccrocher un appel :« Oublie notre rendez-vous de ce soir. Sérieux. Tu n’as pas vu le message qui circule ? »
Les messages viraux qui paralysent
À deux rues de là, dans une buvette anodine, les clients posent leurs bières pour commenter ce qu’ils viennent de lire. Sur l’écran fissuré de Blaise Tchuenté, chauffeur de taxi, s’affiche une alerte WhatsApp :
* CE SOIR À YAOUNDÉ *
- Des disparitions signalées.
- Pick-up banalisés. Faux policiers en uniforme.
DÉJÀ TROIS VICTIMES.
NE SORTEZ PAS.
Quelques jours auparavant, selon les informations recueillies sur les lieux, unpremier message, presque identique mais encore plus alarmiste, avait déjà circulé dont voici la teneur :
URGENT – ALERTE YAOUNDÉ
Des signalements cette nuit :
- Véhicules banalisés rôdent dans les quartiers.
- Individus en uniformes suspects arrêtent des passants.
- Un jeune disparu à Ekounou, un autre à Mendong.
INFO À VÉRIFIER MAIS RESTEZ PRUDENT !
NE RÉPONDEZ À AUCUNE INTERPELLATION DANS LA RUE.
Ne sortez qu’en cas d’extrême nécessité.
Transférez à vos proches.
Sans lien, sans source, mais terriblement efficaces. Blaise en a toujours partagé. Ce soir, il en fait de même, en les transférant à cinq groupes. Ses amis en font autant. En moins de trente minutes, les messages circulent dans les réseaux professionnels, religieux, familiaux. Le virus de la peur numérique est lancé. Nkolbisson est paralysé.
Une rumeur plus forte que la vérité
Ce soir-là, une grande veillée funéraire devait avoir lieu. Beaucoup annulent leur présence. Boutiques et magasins ferment plus tôt. « Quand ça arrive dans le groupe des anciens du lycée technique, c’est que c’est vrai. » affirme Sophie Ngo’o Biyass, mère de famille.
Pourtant, aucun incident ne sera recensé par la gendarmerie nationale. Le lendemain, une version modifiée du message circule
« Diminuez le ssorties nocturnes, évitez les zones mal éclairées. Faux contrôles routiers effectués par des individus en tenue noire. Ne répondez pas aux appels inconnus. Partagez l'info à ceux que vous aimez. La prudence sauve».
L’alerte devient chronique, plus crédible que les démentis officiels.Plusieurs bulletins récents confirment que les réseaux sociaux alimentent une panique disproportionnée, souvent sans fondement : Journal du Cameroun, Cameroun Actuel ou encore Ouaga24
«La parole numérique devient sacrée quand elle vient d’un proche. C’est la confiance qui fait le virus. » Dr. Nadège Tchoumba, sociologue
Comment reconnaître une fake news ?
Dans ce climat de confusion, chaque citoyen peut devenir un détective numérique. Voici quelques réflexes simples :
- Vérifier la source: pas de lien, pas de média reconnu = suspicion.
- Analyser le ton: majuscules, points d’exclamation, injonctions à partager.
- Recouper l’information: chercher sur des sites fiables ou via Google.
- Observer les images: floues, hors contexte, souvent détournées.
- Utiliser la loupe WhatsApp: pour rechercher le contenu sur le Web.
«Moi maintenant, je ne transfère plus rien sans chercher sur Google. J’ai déjà eu trop de honte. »—Rodrigue Nounga, agent de sécurité
Piratage et escroquerie : l’autre visage du fléau
La scène de Nkolbisson n’est pas isolée. En service à Bamenda, Eric Hervé Andela, enseignant, se fait voler son téléphone de passage à Yaoundé. En moins d’une heure, son compte WhatsApp est détourné. Le pirate envoie à ses contacts :
«Salut, je suis en urgence. Peux-tu m’envoyer 50 000 FCFA par Orange Money ? Je te rembourse demain. »
Plusieurs tombent dans le piège. L’un d’eux perd150 000 FCFA. Une plainte est déposée, et toujours en cours.
Que fait le Cameroun pour lutter contre ce fléau ?
Le Cameroun dispose d’une loi sur la cyber sécurité (2010) qui sanctionne la diffusion de fausses informations. Parallèlement, plusieurs initiatives locales agissent :
- #AFFCameroon: vérification collaborative en Afrique francophone

- ADISI-Cameroun: plaidoyer pour la transparence et les médias libres

- Ceides: éducation citoyenne à l’information numérique
Ces organisations forment des fact-checkers, sensibilisent les communautés et collaborent avec les médias pour promouvoir une information fiable.