Ecrit par Abdoussalam Dicko
Producteur, réalisateur et entrepreneur, Bocary Tioulenta est à la tête de plusieurs structures : il préside Kiro, une association de jeunes engagée pour le développement, ainsi que l’Association des producteurs de cinéma et de l’audiovisuel du Mali. Dans cet entretien, il partage sa vision de l’intelligence artificielle et du rôle qu’elle peut jouer pour la jeunesse.
Qu’est-ce que l’IA représente pour vous ?
Bocary Tioulenta : l’IA représente une opportunité exceptionnelle pour notre génération, surtout dans un pays comme le Mali.
Notre système éducatif a des failles : dans l’écriture, dans la structuration des idées… Souvent, nous avons le courage, la créativité, mais pas toujours la formation adéquate ni les ressources humaines nécessaires. L’IA vient combler ces manques.
Concrètement, comment l’IA aide-t-elle un jeune malien aujourd’hui ?
Bocary Tioulenta : aujourd’hui, tu peux avoir une idée de projet sans savoir comment la développer. L’IA te pose des questions, t’oriente, met en forme tes idées. Elle devient un assistant personnel, un professeur, un allié, voire un ami.
Dans une société où la dépression est réelle, beaucoup de jeunes n’ont personne à qui se confier : peur du jugement, peur que leurs confidences soient révélées. Certains trouvent en l’IA une oreille attentive, un appui pour transcender leurs difficultés.
L’IA permet aussi à chacun de devenir une « entreprise à lui seul ». Elle supprime des barrières qui nous empêchent d’avancer.
Mais vous soulignez aussi des risques. Lesquels vous paraissent les plus dangereux ?
Bocary Tioulenta : comme tout outil, l’IA comporte des risques. Mal utilisée, elle peut être catastrophique. Si on s’en sert pour brûler les étapes de l’apprentissage, cela devient dangereux. L’IA n’invente pas à partir de rien : elle additionne des choses existantes. On ne peut pas se dire qu’on va se passer de formation grâce à elle. L’IA ne doit cependant pas remplacer les formations.
J’ai vu des jeunes me soumettre des scénarios générés par IA. C’était incohérent. On doit continuer à apprendre par nous-mêmes, sinon on va droit dans le mur.
Vous parlez souvent de dépendance à l’IA. Comment l’éviter ?
Bocary Tioulenta : effectivement un autre risque, c’est la dépendance. Si on demande tout à l’IA, même pour des choses subtiles, le jour où l’on n’a plus accès à la machine, c’est la catastrophe.
Au Mali, certains ne peuvent plus marcher sur cinq kilomètres parce qu’ils utilisent toujours une moto ou une voiture, même pour aller au bout de la rue. Ici, c’est le même principe, si l’on se rend dépendant à l’IA, on perdra toutes nos capacités intellectuelles de réflexion.
Comment voyez-vous l’avenir de l’IA dans notre contexte ?
Bocary Tioulenta : en résumé, l’IA peut renforcer ceux qui ont déjà des bases solides. Quelqu’un qui a une compétence de 15/20 peut passer à 18 ou 19 grâce à l’IA. Mais quelqu’un qui n’a que 5/20 peut descendre encore plus bas, faute de discernement, donc l’IA creusera le fossé entre les excellents et les médiocres au lieu de le combler.