Ecrit par Abdoussalam Dicko

Dans un Mali instable, la désinformation circule vite : rumeurs sur WhatsApp, vidéos sorties de leur contexte, fausses alertes. Face à cette avalanche, le fact-checking progresse. Lentement, mais sûrement.

Depuis 2020, des plateformes comme BenbereVérif traquent les fausses informations en ligne à travers une diversité de formats : articles, vidéos, podcasts ou visuels explicatifs. Leur ambition dépasse la simple correction des intox. Il s’agit aussi de former les quelque 8 millions d’internautes maliens à l’esprit critique.

Malgré une progression inquiétante des fake news sur les réseaux sociaux, des signes positifs émergent. De plus en plus de lecteurs expriment leur reconnaissance envers les fact-checkers. Certains commencent à adopter les bons réflexes : vérifier les sources, questionner l’information, douter avant de partager.

Comme le souligne Aliou Diallo, chargé du programme Benbere Vérif, « les effets commencent à se faire sentir. À chaque publication, les équipes de Benbere reçoivent des retours d’internautes : Merci beaucoup, je ne savais pas… Merci pour la bonne information.» Des réactions qui, selon lui, montrent que l’éducation à la vérification est en train de prendre racine dans les pratiques numériques des citoyens.

Une lutte freinée par la langue, la connexion et les habitudes

Selon Aliou, le factcheking se heurte plusieurs limites majeures : la langue, l’accès à Internet et la rapidité des circuits de rumeurs. En effet, la majorité des contenus de vérification sont produits en français, langue que ne comprend pas toute la population. Pour combler cette fracture, BenbereVérif traduit ses contenus dans des langues locales comme le bamanankan, les publie sur les réseaux sociaux et les décline en formats audio ou vidéo.

L’autre enjeu est l’accès. En dehors des grandes villes, une large partie de la population s’informe encore via la radio, souvent communautaire. Mais paradoxalement, certaines de ces radios peuvent aussi relayer des rumeurs non vérifiées. Pour contrer cela, les medias de factchecking collaborent avec plusieurs stations régionales, qui rediffusent les fact-checks en langues locales. Cela permet de toucher un public peu présent en ligne, mais particulièrement vulnérable à la désinformation.

Il y a aussi l’ombre de WhatsApp : là où les contenus viraux se répandent rapidement, en boucle, dans des groupes parfois fermés. Difficile, voire impossible, de les contrôler ou d’intervenir à temps. C’est dans ces espaces que la désinformation court vraiment.

Le fact-checking au Mali se heurte également à d’autres défis : manque de moyens, méfiance envers les médias, faible littératie numérique et viralité émotionnelle des fausses informations.

Des réponses locales, encore fragiles

Malgré les obstacles, la riposte s’organise. Des journalistes et activistes s’approprient des outils comme Google Images ou InVID pour vérifier les images avant diffusion. Des relais communautaires s’engagent dans la sensibilisation, tandis que des contenus adaptés en langues locales voient le jour. L’éducation aux médias gagne du terrain, et de plus en plus d’initiatives misent aussi sur le debunking et le prebunking : déconstruire une info virale, mais aussi prévenir les manipulations avant qu’elles ne se propagent. La dynamique est réelle, mais elle reste fragile face à la puissance virale de l’intox. Car la désinformation, elle, ne s’arrête jamais. Elle mute, change de forme, saute d’un réseau à l’autre. Le fact-checking, lui, avance pas à pas.

Pour contenir ce fléau, il faudra davantage de moyens, de formations, de relais locaux, mais aussi renforcer l’éducation critique à l’information, et surtout, conserver une exigence de rigueur : vérifier méthodiquement, expliquer clairement, diffuser largement.

Au final, c’est moins une guerre qu’une course d’endurance. Et si la désinformation court, alors le fact-checking, lui, doit apprendre à mieux marcher, avec les bonnes chaussures.