Ecrit par Steve Mvondo
Au Mali, la liberté d’expression n’a pas été supprimée. Elle s’est simplement vidée de sa substance, comme un droit dont il ne reste que le mot. Sur le papier, les journalistes peuvent toujours publier, débattre et informer. Mais dans la réalité, le silence gagne du terrain.
Depuis la prise de pouvoir par les militaires en 2020, la liberté d’expression au Mali s’est transformée en acte de courage parfois même de défi.

Chaque reportage, chaque mot prononcé à l’antenne, chaque publication sur les réseaux sociaux se pèse désormais avec précaution. Derrière chaque ligne, plane le risque d’être convoqué, censuré, arrêté, ou simplement effacé du débat public. Informer est encore possible, mais exercer cette liberté a désormais un prix.
Plusieurs figures publiques en ont déjà fait les frais. Moussa Mara, ancien Premier ministre, Mohamed Bathily, dit Ras Bath, célèbre chroniqueur et animateur radio, ainsi que d’autres journalistes, influenceurs et leaders d’opinion, ont été inquiétés, arrêtés ou portés disparus après avoir exprimé des opinions critiques à l’égard du pouvoir.


La peur ne se proclame pas, elle s’installe. Dans les rédactions, elle se glisse entre deux phrases. Dans les studios, elle s’entend dans les silences. Sur les réseaux, elle se devine dans les mots codés, les prudences calculées.
Les journalistes maliens n’ont jamais autant parlé de liberté, mais rarement avec autant de retenue.
Quand informer devient suspect
Depuis 2021, plusieurs médias internationaux ont été suspendus : RFI, France 24, Jeune Afrique, ou encore Le Monde Afrique, accusés de porter atteinte à l’image du pays.
Des journalistes locaux, eux, ont été interpellés, intimidés ou mis sous surveillance. D’autres ont préféré s’exiler, le temps que « les choses se calment ».
Le simple fait d’évoquer certains sujets la gouvernance, les affaires militaires, les relations diplomatiques peut valoir une convocation au nom de la « sécurité nationale ».
« On peut parler, oui, mais pas de tout, et surtout pas de tous. »
confie un journaliste d’une radio privée à Bamako. Le message est clair : la liberté d’expression existe, tant qu’elle ne dérange personne.
Face à ce climat, l’autocensure s’est installée comme un réflexe de survie.
Des journalistes réécrivent leurs papiers plusieurs fois pour éviter « les mots qui fâchent ».
Certains médias préfèrent ne plus couvrir la politique nationale, se concentrant sur la culture, le sport ou la vie associative. D’autres renoncent à diffuser certaines enquêtes, par crainte de « problèmes ». L’autocensure n’est pas imposée par décret ; elle s’impose d’elle-même, par épuisement, par peur ou par prudence.
Dans un contexte où l’information dérange, le silence devient une stratégie professionnelle.
Les réseaux sociaux sous haute surveillance
Autrefois perçus comme un espace de liberté, les réseaux sociaux sont désormais un champ miné. Des influenceurs proches du pouvoir orchestrent des campagnes d’intimidation en ligne contre les journalistes jugés « trop critiques ».
Certains comptes anonymes relayent des informations personnelles, publient des menaces, ou accusent les journalistes d’être « anti-patriotes ».
Des citoyens ordinaires ont été interpellés pour des publications jugées hostiles à la transition. « Les murs ont toujours eu des oreilles. Aujourd’hui, les écrans en ont aussi. » témoigne une journaliste en ligne.
La liberté d’expression existe, mais fragile
Le Mali reste un pays où la parole circule, où les débats existent encore. Mais cette liberté est aujourd’hui conditionnée : on peut parler, tant qu’on ne touche pas à ce qui dérange. La promesse constitutionnelle d’une presse libre se heurte à une réalité faite de surveillance, d’intimidation et de fatigue morale. Pourtant, la presse malienne n’a jamais été aussi déterminée à survivre Elle s’adapte, se réinvente, s’organise. Dans les zones rurales comme dans les capitales, des voix continuent de se lever, souvent dans l’anonymat, parfois dans la peur, mais toujours avec la même idée : dire, malgré tout.
Dans un pays où chaque mot peut coûter cher, écrire devient un acte intime de résistance.
Les journalistes maliens ne réclament pas des privilèges, seulement le droit de faire leur travail sans craindre d’y laisser leur liberté. Leur plume n’est pas militante ; elle est humaine.
Parce qu’au Mali, la liberté d’expression n’a pas disparu. Elle survit mais pas toujours après l’expression.